A pour ACTES, M pour MUTUELS


4. Travail du sexe et Code criminel canadien
Travail du sexe et Code criminel canadien

Les premières lois du Canada visant la réglementation du travail du sexe introduites au Canada anglophone s'inspirent directement de celles de Grande-Bretagne. Il s'agit de la législation sur les vagabonds et les brigands figurant dans la Nova Scotia Act de 1759. On y apporta plusieurs modifications au 19e siècle avant de créer le premier Code criminel canadien, publié en 1892. C'est sur ce même Code criminel que s'appuient les lois criminelles actuelles régissant le travail du sexe.30 Selon ces lois, il est légal pour des adultes de se prostituer contre rémunération. Par contre, nombre des comportements et situations entourant le travail du sexe sont illégales. Ainsi, il est illégal :

  • de communiquer dans un endroit public (ceci vaut autant pour les clients que pour la personne qui se prostitue) dans le but de se livrer à la prostitution;31
  • de tenir ou d'habiter une maison de débauche;32
  • de diriger ou de mener une autre personne vers une maison de débauche;33
  • d'induire ou de tenter d'induire ou solliciter une personne à avoir des rapports sexuels avec une autre personne. On entend par là «induire une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne», «induire une personne à se prostituer» et «induire une personne à venir au Canada ou à quitter le Canada pour se livrer à la prostitution»; (ces dernières dispositions ne visent pas les personnes qui se prostituent, mais veulent empêcher que des personnes ne soient forcées à se prostituer);34
  • de vivre des produits de la prostitution d'une autre personne;35
  • d'obtenir ou de tenter d'obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d'une jeune personne.36, 37

D'autres articles du Code criminel que l'on a utilisé pour contrôler en partie la nuisance publique qu'engendre le travail du sexe au Canada38 mentionnent, entre autres, les actions indécentes,39 troubler la paix,40 flâner et gêner des personnes41 et l'intrusion de nuit.42

En somme, «la loi ne dit pas quand et dans quelles conditions la prostitution est permise.»43 [Traduction libre]

Vag-C : Loi discriminatoire

Il est difficile d'établir l'historique juridique du travail du sexe au masculin au Canada. Avant 1972, l'article du Code criminel canadien régissant la prostitution de rue était sexiste et très discriminatoire à l'endroit des femmes. Par définition, les prostituées étaient des femmes et la loi ne s'appliquait pas aux hommes qui vendaient des services sexuels contre rémunération. Tout cela a changé en 1972, lorsque les dispositions sur le vagabondage, ou dispositions relatives à la sollicitation, ont été abrogées et remplacées, dans le Code criminel,44 par d'autres interdisant la sollicitation. Maintenant, les travailleurs du sexe hommes pouvaient être poursuivis. En 1973, les termes «prostitué homme» et «prostitution masculine» font leur apparition dans les tribunaux fédéraux de la Colombie-Britannique, où, dans un jugement faisant précédent, le premier travailleur du sexe homme (habillé en femme) est reconnu coupable.45

Projet de loi C-49 : Dispositions relatives aux communications

En 1985, le gouvernement fédéral adopte de nouvelles dispositions. Le Projet de loi C-49,46 ou dispositions relatives aux communications, modifie (ou, comme certains le pensent, remplace) les dispositions relatives à la sollicitation. On souhaite aussi que ces dispositions permettent de réparer les inégalités entre hommes et femmes. Le projet de loi contient les mots toute personne, signifiant qu'hommes et femmes peuvent être accusés d'infractions liées à la prostitution, et que les travailleurs du sexe et leurs clients peuvent l'être aussi.47 Pour ce qui est du travail du sexe au masculin, certains pensent que le Projet de loi C-49 a manqué son objectif, parce que la prostitution masculine est une industrie relativement petite et qu'il est souvent difficile de la distinguer du maraudage homosexuel.48

Bien que des modifications aient été d'abord apportées au début des années 1970, puis à nouveau vers le milieu des années 1980, les dispositions n'ont jamais été appliquées de la même façon aux travailleurs du sexe hommes qu'à leurs homologues femmes. Selon un rapport publié à Halifax en 1989, les accusations portées contre des travailleurs du sexe hommes ne représentent que 11 % de l'ensemble des accusations portées contre des travailleurs du sexe à Halifax. Ces conclusions contredisent les déclarations des autorités policières locales selon lesquelles la loi est appliquée avec la même rigueur aux travailleurs du sexe hommes ou femmes et à leurs clients. Graves (1989) écrit que cette différence «ne nous surprend pas vraiment étant donné le malaise que les homosexuels suscitent habituellement chez la police.»49 [Traduction libre]

En vertu du Projet de loi C-49, les travailleuses du sexe continuent d'être plus souvent inculpées que leurs homologues hommes. Une étude révèle, par exemple, que les travailleuses du sexe sont inculpées, en moyenne, deux fois par an, contre moins d'une fois tous les deux ans pour les prostitués hommes.50 À Toronto, selon un échantillon des arrestations effectuées en 1986-1987, les femmes sont arrêtées 17 fois plus que les hommes.51

Selon les rapports de l'International Conference on Prostitution and Other Sex Work (1996), qui s'est tenue à Montréal, une travailleuse du sexe sera arrêtée en moyenne 1,37 fois par an, au lieu de 0,37 fois pour un travailleur du sexe homme. À Montréal, par exemple, entre 1986 et 1991, 6 493 travailleuses du sexe sont arrêtées, contre 1 746 travailleurs du sexe hommes.52



Références

  1. LOWMAN, J. «Prostitution in Canada», dans Canadian Criminology: Perspectives on Crime and Criminality, publié sous la direction de M. A. Jackson, C. T. Griffiths et A. Hatch, Toronto, Harcourt Brace Jovanovich, 1991. [back]

31. Section 213.

32. Section 210.

33. Section 211.

34. Section 212.

35. Section 212.

36. Section 212 (4).

37. Voir MACDONALD, N. E., FISHER, W. A., WELLS, G. A., DOHERTY, J. A. et BOWIE, W. R. «Canadian Street Youth: Correlates of Sexual Risk-Taking Activity», Pediatric Infectious Disease Journal, 1994, vol. 13, no 8, p. 690-97; GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA PROSTITUTION. La prostitution au Canada : Document de travail, Ottawa, Ministère de la Justice, 1995a; International Conference on Prostitution and Other Sex Work, Participation Kit, Montréal (Québec) Groupe de recherche d'intérêt public de l'Université McGill, 1996; GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA PROSTITUTION. Rapport et recommandations relatives à la législation, aux politiques et aux pratiques concernant les activités liées à la prostitution, Ottawa, Ministère de la Justice, 1998; voir aussi les travaux de John Lowman.

38. Voir GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA PROSTITUTION. Rapport et recomman-dations relatives à la législation, aux politiques et aux pratiques concernant les activités liées à la prostitution, Ottawa, Ministère de la Justice, 1998.

39. Section 173.

40. Section 175.

41. Section 175.

42. Section 177.

43. GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA PROSTITUTION. Rapport et recomman-dations relatives à la législation, aux politiques et aux pratiques concernant les activités liées à la prostitution, Ottawa, Ministère de la Justice, 1998. p.4.

44. Section 195.1.

45. Voir R. v. Obey, 1973; WILLMOT, J. The Osgoode Women's Caucus Brief on Prostitution, Toronto, Osgoode Hall, 1980-81; également ASSOCIATION NATIONALE DE LA FEMME ET DU DROIT. Position Paper of the Montreal Association of Women and the Law on Soliciting, Montréal, Association nationale de la femme et du droit, 1980.

46. Maintenant section 213.

47. Voir GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA PROSTITUTION. Rapport et recomman-dations relatives à la législation, aux politiques et aux pratiques concernant les activités liées à la prostitution, Ottawa, Ministère de la Justice, 1998.

48. Minutes of the Proceedings and Evidence of the Legislative Committee on Bill C-49 for October 10, 1985, p. 42, cité dans ASSOCIATION NATIONALE DE LA FEMME ET DU DROIT. Prostitution: Bill C-49, Four Years Later, Ottawa, Association nationale de la femme et du droit, 1989, p. 10.

49. GRAVES, F. La prostitution de rue : Effets de la Loi — Halifax, Ottawa, Ministère de la Justice, 1989, p. 50.

50. Voir FLEISCHMAN, J. The Evaluation of the Street Prostitution Legislation: A Summary of Research Findings, Ottawa, Ministère de la Justice, 1989; GEMME, R. et PAYMENT, N. «Criminalization of Adult Street Prostitution in Montréal: Evaluation of the Law in 1987 and 1991», Canadian Journal of Human Sexuality, 1992, vol. 1, no 4, p. 217-20, cité dans International Conference on Prostitution and Other Sex Work, Participation Kit, Montréal (Québec) Groupe de recherche d'intérêt public de l'Université McGill, 1996.

51. ACHILLES, R. The Regulation of Prostitution, document de travail présenté au Bureau de la santé de Toronto, Toronto, Service de Santé publique, 24 avril 1995.

52. International Conference on Prostitution and Other Sex Work, Participation Kit, Montréal (Québec) Groupe de recherche d'intérêt public de l'Université McGill, 1996.

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Created: February 5, 2000
Last modified: February 5, 2000
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