On n'a jamais su exactement combien de personnes vendent ou achètent des services sexuels au Canada. Il n'existe pas de statistiques nationales sur l'exposition possible au VIH ou les cas de sida déclarés dus à la prostitution. L'un des problèmes que l'on rencontre en essayant de trier les données sur le travail du sexe au masculin et le VIH et le sida est qu'elles proviennent en général d'échantillons recueillis auprès de jeunes de la rue et d'utilisateurs de drogues injectables, deux groupes chez qui on a reconnu très tôt le risque d'infection à VIH. Il existe très peu d'études incluant des travailleurs du sexe hommes ayant d'autres styles de vie.

Déclaration des cas de sida et travail du sexe au masculin au Canada

Le système de déclaration et de surveillance des cas de sida a été créé par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social,96 en février 1982, lorsqu'a été recensé le premier cas de sida au Canada.97 Depuis le 31 décembre 1997, 15 528 cas de sida ont été diagnostiqués et déclarés. «Sous réserve des déclarations tardives, on estime à près de 20 000 le nombre total de cas de sida au Canada.»98 [Traduction libre] Sur ce nombre, 11 175 (71,9 %) sont des hommes adultes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes, 681 (4,4 %) des hommes adultes qui ont des rapports sexuels avec d'autres hommes et qui s'injectent aussi des drogues. «Sous réserve des déclarations tardives, on estime à 13 046 le nombre total de cas de sida chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes à la fin de 1997.»99 [Traduction libre]

Le test de dépistage du VIH a commencé à être offert sur une grande échelle au Canada en 1985.100 Fin décembre 1997, on évalue à 41 681 le nombre de personnes porteuses du VIH au pays; et à 2 598 pour la seule année 1997.101 Une enquête nationale, effectuée en janvier 1997, révèle que 18,6 %102 des hommes de 15 ans ou plus ont subi le test de dépistage du VIH.103

On estime qu'au début de l'épidémie (dès les années 1982 à 1984), 36 % des hommes ayant eu des rapports sexuels avec d'autres hommes à Vancouver104, et 25 % à Montréal,105 étaient porteurs du VIH.106 L'enquête nationale «Au masculin» (1993) indique que 65 % des hommes qui ont eu des rapports sexuels avec d'autres hommes au Canada ont subi le test de dépistage du VIH. Selon les déclarations des intéressés, plus de 18,2 % de ceux qui ont subi le test étaient porteurs du VIH, les chiffres allant de 10,2 % à 27,2 %, selon le lieu de résidence.107

Récemment, le nombre d'hommes infectés par le VIH semble avoir diminué. Selon un chiffre tiré d'études canadiennes sur les hommes ayant des rapport sexuels avec d'autres hommes (1994 à 1997), 4 % à 11 % risquent d'être porteurs du VIH.108 Toutefois, le Laboratoire de lutte contre la maladie, qui relève de Santé Canada, estime actuellement à environ 20 % le taux de prévalence du VIH chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec d'autres hommes.109

Recherche sur la prévention du VIH et travail du sexe au masculin au Canada

Il existe très peu de données étudiant le travail du sexe au masculin au Canada sous plus d'un angle à la fois, qu'il soit géographique, social ou économique.

Une étude de l'Est du Canada publiée en 1989 fournit des données sur 55 travailleurs du sexe hommes. Quatre-vingt-seize pour cent d'entre eux avaient entendu parler du sida et 58 % avaient modifié leurs pratiques sexuelles à cause de cette maladie. Quarante-deux pour cent indiquèrent avoir déjà eu une maladie vénérienne et 92 % se faisaient faire un bilan de santé régulier. «Toutefois, ceux qui avaient déclaré n'avoir pas modifié leurs pratiques sexuelles étaient souvent ceux qui avaient toujours évité les comportements à risque associés à la transmission du sida.»110 [Traduction libre]

Une étude publiée en Alberta en 1994 porte sur 505 hommes, recrutés dans des cliniques de traitement des MTS à Calgary et Edmonton, ayant eu des rapports sexuels avec d'autres hommes. Six pour cent de ces hommes avaient eu des rapports sexuels rémunérés au cours de l'année précédente, 64 % d'entre eux utilisaient toujours un condom et 7 % jamais. Moins de 3 % de l'échantillon sondé avaient échangé des services sexuels contre de la drogue et 55 % d'entre eux déclarèrent utiliser toujours un condom. Les autres dirent utiliser quelquefois un condom. Parmi ceux qui disaient se prostituer (4 %), 61 % utilisaient toujours un condom lorsqu'ils avaient des rapports sexuels, 33 % quelquefois et moins de 6 % jamais.111

Shaver et Newmeyer (1996) ont comparé leurs données sur le travail du sexe au masculin dans la région de Montréal à celles de deux études portant sur la même région, l'une sur les gais, l'enquête nationale «Au masculin» (1993),112 touchant l'ensemble du Canada, et l'autre sur les hommes bisexuels, Entre Hommes (1993),113 effectuée parallèlement au Québec.

Les 40 travailleurs du sexe recrutés pour l'analyse de Shaver et Newmeyer avaient été choisis parmi un sous-échantillon de l'enquête sur le travail du sexe au masculin, une série d'entrevues sur le terrain effectuées à Montréal en 1991. Trente des répondants étaient des travailleurs du sexe hommes et 10 des trans-genderistes. Ce dernier groupe était décrit comme «des hommes qui s'habillent en femme lorsqu'ils travaillent et se considèrent gais.» [Traduction libre] Les auteurs notent que ces trans-genderistes «ne sont pas vraiment des travestis. Ils travaillent habillés en femmes et participent à l'occasion à des spectacles de travestis, mais se considèrent comme des hommes.»114 [Traduction libre]

Comparés aux gais et aux hommes bisexuels de l'enquête nationale «Au Masculin» et «Entre Hommes», ces travailleurs du sexe hommes étaient plus jeunes et moins instruits. Par ailleurs, un plus grand nombre déclaraient être hétérosexuels : la moitié seulement se considéraient comme homosexuels ou gais. Ils étaient aussi plus nombreux que les autres hommes à avoir eu au moins une partenaire femme.115

Fait important, on n'a relevé aucune différence notable entre les taux de pénétration anale non protégée. Davantage de travailleurs du sexe hommes avaient subi le test de dépistage du VIH (88 % comparés à 61 % et 68 %) et un moins grand nombre étaient porteurs du VIH (0 % comparé à 11 % et 21 %) que les hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. Cinquante-cinq pour cent des travailleurs du sexe hommes utilisaient toujours un condom pour la fellation, 90 % pour la pénétration anale (moins de 25 % des hommes offraient ce service à leurs clients) et 75 % pour la pénétration vaginale (offerte à leurs clientes par à peine 10 % de l'échantillon). Les hommes ont indiqué que l'utilisation du condom augmentait en fonction du risque présenté par l'activité sexuelle. On a également noté que 71 % des travailleurs du sexe hommes utilisaient un condom chaque fois ou presque chaque fois qu'ils pratiquaient la fellation avec des clients, 45 % pour la fellation avec leurs partenaires, 92 % pour la pénétration anale avec des clients et 71 % pour la pénétration anale avec leurs partenaires.

Les auteurs rapportent que :

En ce qui concerne ces deux pratiques sexuelles et le comportement face au risque, les prostitués hommes semblent se comporter de la même façon avec leurs partenaires que les gais ou les hommes bisexuels … De plus, ces deux groupes connaissent bien les risques associés au sida, et ont modifié certaines de leurs pratiques sexuelles en conséquence.116 [Traduction libre]

Références

96. Maintenant Santé Canada. [back]

97. Bien qu'une évaluation rétrospective des dossiers de santé ait établi que le premier cas de sida diagnostiqué au Canada remontait à 1979.

98. SANTÉ CANADA. Le VIH et le sida au Canada (1998), Ottawa, Santé Canada, Laboratoire de lutte contre la maladie, Bureau du VIH/sida, des MTS et de la tuberculose, Actualités en épidémiologie sur le VIH/sida, mai 1998a.

99. SANTÉ CANADA. L'infection à VIH et le sida chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes, Ottawa, Santé Canada, Laboratoire de lutte contre la maladie, Bureau du VIH/sida, des MTS et de la tuberculose, Actualités en épidémiologie sur le VIH/sida, mai 1998b.

100. SANTÉ CANADA. Tests de dépistage de l'infection à VIH chez les Canadiens : environ 11 000 à 17 000 cas récents d'infection à VIH peuvent ne pas être diagnostiqués, Ottawa, Santé Canada, Laboratoire de lutte contre la maladie, Bureau du VIH/sida, des MTS et de la tuberculose, Actualités en épidémiologie sur le VIH/sida, mai 1998d.

101. On estime qu'à compter de décembre 1996, il y a eu entre 50 000 et 54 000 cas cumulatifs d'infection à VIH au Canada. NGUYEN, M., ARCHIBALD, C., FARLEY, J. et SUTHERLAND, D. Épidémiologie du VIH/sida au Canada — 1998, Bureau du VIH/sida, des MTS et de la tuberculose, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, communication faite dans le cadre de la réunion d'élaboration du programme de recherche sur le VIH, Ottawa, Santé Canada, Programmes de prévention et d'action communautaire, février 1999.

102. Ibid. Ces chiffres ne comprennent pas les personnes ayant subi un test de dépistage en vue de faire un don de sang ou de souscrire à une assurance. Lorsque l'on tient compte de ces données, on estime que 41 % des hommes canadiens auraient subi au moins un test de dépistage des anticorps du VIH. HOUSTON, S., ARCHIBALD, C., STRIKE, C. et SUTHERLAND, D. «Factors Associated with HIV Testing among Canadians: Results of a Population-Based Survey», dans International Journal of STD and AIDS, 1998b, no 9, p. 341-46.

103. HOUSTON, S., ARCHIBALD, C. et SUTHERLAND, D. Sexual Risk Behaviours are Associated with HIV Testing in the Canadian General Population, communication faite dans le cadre de la 7e Conférence canadienne annuelle de recherche sur le VIH/sida, Québec, mai 1998a.

104. CRAIB, K. et SCHECHTER, M. «The Vancouver Lymphadenopathy AIDS Study: An Overview of Research into HIV/AIDS», B.C. Medical Journal, 1992, vol. 34, no 3, p. 162-64.

105. REMIS, R., NAJJAR, M., PASS, C. et PARADIS, G. Seroepidemiological Study of HIV Infection and Sexual Behaviour among Men Attending a Medical Clinic in Montréal, communication faite dans le cadre de la Ve Conférence internationale sur le SIDA, Montréal, juin 1989.

106. Voir aussi SANTÉ CANADA. L'infection à VIH et le sida chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes, Ottawa, Santé Canada, Laboratoire de lutte contre la maladie, Bureau du VIH/sida, des MTS et de la tuberculose, Actualités en épidémiologie sur le VIH/sida, mai 1998b.

107. 23 % à Vancouver, 27,2 % à Toronto, 20,1 % à Montréal et entre 10,2 % et 20,5 % dans les autres régions du Canada. MYERS, T., GODIN, G., CALZAVARA, L., LAMBERT, J. et LOCKER, D. L'enquête canadienne sur l'infection à VIH menée auprès des hommes gais et bisexuels : au masculin, Ottawa, Société canadienne du SIDA, 1993.

108. Voir ROMANOWSKI, B., CAMPBELL, P., PREIKSAITIS, J. et FONSECA, K. «Human Immunodeficiency Virus Seroprevalence and Risk Behaviours in Patients Attending Sexually Transmitted Disease Clinics in Alberta», Sexually Transmitted Diseases, septembre 1997, p. 487-94; DUFOUR, A., ALARY, M., POULIN, C., ALLARD, F., NOËL, L., TROTTIER, G., LEPINE, D. et HANKINS, C. «Prevalence and Risk Behaviours for HIV Infection among Inmates of a Provincial Prison in Quebec City», AIDS, 1996, vol. 10, no 9, p. 1009-15; ROY, E. HIV and Street-Involved People in Canada: Status Report and Recommendations for a National Action Plan for HIV Prevention (dans le cadre des Plans d'action pour la prévention du VIH pour les personnes de la rue), document de travail soumis à l'Unité d'éducation et de prévention sur le SIDA, Ottawa, Santé Canada, 1996; MYERS, T., CALZAVARA, L., MAJOR, C., MARCHAND, R., MORRISON, K. et ALLMAN, D. Self-reported HIV Antibody Status and Laboratory Test Results in a Community Sample of Gay and Bisexual Men: Winnipeg Men's Survey, communication faite dans le cadre de la 5e Conférence canadienne annuelle de recherche sur le VIH/sida, Winnipeg, juin 1995; PALMER, R., MAJOR, C., OFNER, M., BROWN, D., FALLI, R. et FEARON, M. Laboratory-based HIV Surveillance in Ontario, communication faite dans le cadre de la 5e Conférence canadienne annuelle de recherche sur le VIH/sida, Winnipeg, juin 1995.

109. NGUYEN, M., ARCHIBALD, C., FARLEY, J. et SUTHERLAND, D. Épidémiologie du VIH/sida au Canada — 1998, Bureau du VIH/sida, des MTS et de la tuberculose, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, communication faite dans le cadre de la réunion d'élaboration du programme de recherche sur le VIH, Ottawa, Santé Canada, Programmes de prévention et d'action communautaire, février 1999.

110. EARLS, C. M. et DAVID, H. «A Psychosocial Study of Male Prostitution», Archives of Sexual Behavior, 1990a, vol. 18, no 5, p. 411-12.

111. ROMANOWSKI, B., CAMPBELL, P., PREIKSAITIS, J. et FONSECA, K. «Human Immunodeficiency Virus Seroprevalence and Risk Behaviours in Patients Attending Sexually Transmitted Disease Clinics in Alberta», Sexually Transmitted Diseases, septembre 1994, p. 487-94, cité dans SANTÉ CANADA. Comportements à risque à l'égard du VIH chez les Canadiens et les Canadiennes : examen et synthèse. Ottawa, Santé Canada, Laboratoire de lutte contre la maladie, Bureau du VIH/sida, des MTS et de la tuberculose, Division de l'épidémiologie du VIH, novembre 1998c.

112. MYERS, T., GODIN, G., CALZAVARA, L., LAMBERT, J. et LOCKER, D. L'enquête canadienne sur l'infection à VIH menée auprès des hommes gais et bisexuels : au masculin, Ottawa, Société canadienne du SIDA, 1993.

113. GODIN, G., CARSLEY, J., MORRISON, K. et BRADET, R. Entre hommes — 1991-1992 : Les comporte-ments sexuels et l'environnement social des hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, Québec, COCQ-sida, 1993.

114. SHAVER, F. et NEWMEYER, T. Men Who Have Sex With Men: A Comparison of the Sexual Practices and Risk-Taking Behaviour of Gay and Bisexual Men and Male Prostitutes, communication présentée au colloque «Sida, jeunesse et prévention. Au-delà du discours, des actions!» dans le cadre du 64e congrès de l'ACFAS, Montréal, mai 1996, p. 7, note 3.

115. Pour plus d'information sur la bisexualité au Canada, voir MYERS, T. et ALLMAN, D. «Bisexuality and HIV/AIDS in Canada», dans Bisexualities and AIDS: International Perspectives, publié sous la direction de P. Aggleton, London, Taylor and Francis, 1996; et DOLL, L., MYERS, T. KENNEDY, M. et ALLMAN, D., «Bisexuality and HIV Risk: The Canadian and U.S. Experience», Annual Review of Sex Research, 1997, vol. 8, p. 102-147.

116. SHAVER, F. et NEWMEYER, T. Men Who Have Sex With Men: A Comparison of the Sexual Practices and Risk-Taking Behaviour of Gay and Bisexual Men and Male Prostitutes, communication présentée au colloque «Sida, jeunesse et prévention. Au-delà du discours, des actions!» dans le cadre du 64^e congrès de l'ACFAS, Montréal, mai 1996, p. 13.