Comment les lois qui régissent la prostitution influent-elles sur la propagation du VIH chez les prostitués? La criminalisation de la prestation de services sexuels contre rémunération signifie que les prostitués qui sont victimes d'agression par leurs clients ont moins la possibilité de porter plainte contre leurs agresseurs. En outre, il devient plus difficile pour les prostitués d'insister sur l'usage du condom, ce qui augmente leurs risques de devenir infectés.251 [Traduction libre]
Traditionnellement, on propose deux solutions de rechange aux politiques actuelles qui consistent à criminaliser le travail du sexe : la décriminalisation et la réglementation (légalisation) :
La décriminalisation signifie l'élimination totale des infractions liées à la prostitution
la réglementation, également appelée légalisation ou décriminalisation partielle par certaines personnes, renvoie à un cadre à l'intérieur duquel certaines activités de prostitution passibles de sanctions pénales au terme du Code criminel seraient rendues licites.252 [Traduction libre]
L'approche la plus souvent recommandée au Canada est celle de la réglementation (légalisation), qui autoriserait certaines formes de travail du sexe dans des quartiers désignés par zonage, ou prévoirait l'octroi de permis. Parfois nommée perspective professionnelle, cette approche «suggère que la solution se trouve dans la tolérance de la loi. La légalisation, en principe, aboutirait à la réglementation de la pratique de la prostitution, ce qui la rendrait sans risque pour tous les intéressés.»253 [Traduction libre]
Cette recommandation, qui est celle du Comité Fraser (1985), n'a jamais été adoptée. Pourtant 14 ans plus tard, le débat entourant la décriminalisation ou réglementation du travail du sexe au Canada continue.
La situation actuelle en ce qui concerne la criminalisation du travail du sexe n'incite pas les travailleurs du sexe à insister sur l'utilisation du condom avec leurs clients et peut, en fait, augmenter les risques de transmission et d'infection par le VIH.254 «La seule solution logique consisterait à décriminaliser la prostitution et à accorder aux prostitués les mêmes droits et la même protection qu'à d'autres individus dans d'autres métiers en terme de conditions de travail.»255 [Traduction libre]
Depuis le début de l'épidémie du sida au Canada, l'idée d'octroyer un permis aux prostitués a gagné en popularité. Dans le cadre d'une consultation à Edmonton, «on a proposé un modèle de contrôle de la prostitution en vertu duquel un permis serait octroyé aux employés d'agences d'escortes, de salons de massage et de bars de striptease. Pour obtenir un permis, les prostitués devraient avoir plus de 18 ans et n'avoir aucune MTS, ni le VIH. Des examens médicaux seraient requis tous les six mois.»256 [Traduction libre] Cette proposition a fini par être rejetée à cause des problèmes de responsabilité civile que ce système risquait d'engendrer pour la ville.
Au cours d'une autre consultation, parainnée cette fois par la Fédération canadienne des municipalités, la conseillère Bev Longstaff a réagi comme suit à la possibilité d'octroyer des permis à tous les travailleurs du sexe :
Si l'on octroyait un permis à tous les travailleurs du sexe, les tests de dépistage des MTS seraient-ils obligatoires? Dans le cas du Calgary Escort Framework, le conseil municipal s'est opposé à cette exigence. Il est bien évident que l'adoption de pratiques sexuelles sans risques est dans l'intérêt de toutes les personnes sexuellement actives. Pourtant, l'adoption par les villes du dépistage obligatoire chez les fournissseurs pourrait entraîner des conséquences non intentionnelles. Les clients pourraient exiger des fournisseurs qu'ils aient avec eux des rapports non protégés en présumant que les prostitués sont en quelque sorte médicalement certifiés. Cela serait dangereux pour tous les intéressés.257 [Traduction libre]
Comme l'a déclaré en 1988 une représentante de l'Organisation canadienne pour les droits des prostituées, les lois qui empêchent les prostituées de travailler sans enfreindre la loi font également entrave à l'éducation sur la prostitution sans risque.258 [Traduction libre]
Et, comme l'a conclu le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution (1998) :
Le cadre législatif actuel qui a été établi afin de s'attaquer à la question de la prostitution de rue reflète l'ambivalence du public canadien vis-à-vis cette activité
Malgré la série de modifications apportées au Code criminel au cours des 25 dernières années, le Groupe de travail a reçu des témoignages convaincants à l'effet que les dispositions législatives actuelles ne sont pas adéquates.259 [Traduction libre]
Décriminalisation du travail du sexe et prévention du VIH
Le document intitulé VIH/sida et discrimination : un document de travail fait état d'une étude récente des politiques et des programmes ciblés sur les travailleurs du sexe, selon laquelle :
il existe trois stratégies de prévention du VIH auprès des prostitués : (1) tenter de les réglementer en les soumettant au test obligatoire du VIH et à des traitements obligatoires, voire dans certains cas, à la détention; (2) leur fournir des services adéquats et accessibles par le biais de programmes ciblés et de cliniques spécialisées; (3) améliorer leurs habilités à protéger leur santé et à améliorer leur position dans le secteur d'activité [sic.]. Les auteurs de l'étude remarquent qu'il n'existe aucune preuve que la première stratégie, la réglementation, ait empêché la transmission du VIH :
En effet, on a soutenu que la répression aggrave le problème puisque les prostitués évitent encore davantage les services de santé, pour tenter d'échapper aux restrictions de l'État sur leur travail.
En revanche, la décriminalisation et les mesures antidiscriminatoires ont été efficaces dans la réduction des risques de transmission des MTS et du VIH :
La décriminalisation de la prostitution et les mesures antidiscriminatoires sont associées à des niveaux peu élevés d'infection et à l'usage presque universel du condom. En Nouvelle-Galles du Sud (Australie) et aux Pays-Bas, des changements sociaux et législatifs semblent avoir ouvert la voie à des interventions sanitaires plus efficaces dans le commerce du sexe.
Les auteurs de l'étude concluent qu'une combinaison des deuxième et troisième stratégies est nécessaire :
Les programmes ciblés sont importants à court terme pour les populations dont la prévalence d'infection est plus élevée, y compris des groupes de prostitués. Les services de santé spécialisés sont un important service professionnel pour ces personnes, indépendamment de la prévalence relative de l'infection. Cependant, les programmes de lutte ciblés et les services de santé spécialisés ne peuvent qu'apporter un complément aux interventions plus générales auprès de ce milieu dans son ensemble et à l'infrastructure générale de services de santé, et non les remplacer.260