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24. Recommandations tirées de la recherche
Recommandations tirées de la recherche

Comment la recherche canadienne a défini et mesuré le risque de transmission du VIH et le travail du sexe au masculin ou Pourquoi la recherche sur le travail du sexe doit s'appuyer sur une méthodologie solide et ne pas comporter de biais moral

La préoccupation sur la façon dont les données peuvent être utilisées, surtout celles sur la prévalence du VIH et les activités à risque des travailleurs du sexe et de leurs clients, est au premier plan du discours actuel sur la recherche sur le travail du sexe au masculin et le VIH et le sida au Canada.

Les répercussions de la recherche suggérant que les prostitués masculins prennent des risques avec leurs clients (et mettent leurs clients à risque), combinées à la criminalisation du travail du sexe, peuvent contribuer à créer un environnement où l'on encourage le harcèlement par la police et les services sociaux et pourraient même aboutir à l'élaboration de lois qui enfreignent les droits des travailleurs du sexe (ordonnance d'un tribunal, quarantaine), les incitant à une plus grande clandestinité, les rendant plus difficile à rejoindre par les programmes de sensibilisation et, par conséquent, plus vulnérables à l'infection.273 [Traduction libre]

La complexité de la recherche sur le travail du sexe signifie que les personnes qui conçoivent et mettent en oeuvre ces projets de recherche doivent être vigilants :

Dans l'ensemble, la recherche sur la prostitution est compromise par un nombre de problèmes d'ordre conceptuel et méthodologique. D'abord, les taxonomies proposées en fonction de l'âge (jeunes versus adultes), du sexe (hommes versus femmes) ou du type d'activité (le travail de rue, le travail sur rendez-vous, etc.) n'ont pas contribué de façon appréciable à notre compréhension du phénomène en général. Deuxièmement, malgré que bon nombre d'études aient tenté de décrire les caractéristiques démographiques des prostitués, une mauvaise sélection des sujets et le défaut d'inclure des groupes de comparaison appropriés empêchent d'arriver à une interprétation cohérente des résultats. Enfin, on a presque complètement séparé la théorie et la recherche selon le sexe (hommes versus femmes) des prostitués étudiés.274 [Traduction libre]

Les travailleurs du sexe ne sont pas tous pareils et ne pensent pas tous de la même façon.

Les pratiques des travailleurs et travailleuses du sexe, ainsi que les conditions qui influencent leur santé, varient considérablement. Les études sur l'infection à VIH parmi ces personnes font souvent appel à des populations qui ne sont pas nécessairement représentatives de la diversité de ce groupe. Il est donc difficile de généraliser au sujet des risques à la santé des travailleurs du sexe, y compris le risque d'infection à VIH, d'un lieu à un autre.275

Pour bon nombre, le travail du sexe est un travail, sans plus. Tous les travailleurs du sexe ont une vie au travail et une vie privée, même ceux qui ne font pas la différence entre les deux.

Les recherches sur les travailleurs du sexe portent surtout sur leurs activités de prostitution bien que ce soit dans la vie privée et non dans leurs activités professionnelles qu'un grand nombre de ces personnes sont exposées à un plus grand risque.276 [Traduction libre]

Ce ne sont là que quelques-unes des réalités dont toute investigation future devra tenir compte.

L'un des défis posés par la récapitulation des données sur le travail du sexe au masculin et le sida au Canada a été la façon dont les chercheurs ont défini et opérationalisé les variables utilisées dans leurs études. Citons l'exemple de l'âge :

l'un des problèmes majeurs dans l'élaboration d'un profil des jeunes qui se livrent à la prostitution au Canada est qu'il n'existe pas d'évaluations fiables de leur nombre. L'une des difficultés auxquelles on est confronté lorsqu'on tente de déterminer le nombre de ces jeunes a trait à l'âge utilisé pour les définir. Le Comité Badgley définit les «prostitués juvéniles» comme étant des jeunes de moins de 20 ans. Pour le Comité Fraser, ce sont les moins de 18 ans, alors que pour d'autres encore, ce sont les moins de 16.277 [Traduction libre]

Un second exemple est celui des questions posées pour chercher à comprendre les relations qu'ont les travailleurs du sexe avec leurs clients et partenaires. Comme l'a fait remarqué un répondant :

Pour moi, la difficulté que posait ce questionnaire était qu'il ne faisait pas la différence entre clients et non clients … Il faut classer les clients selon qu'ils sont des partenaires occasionnels où réguliers, ce qui, en soi, n'est pas toujours clair. Autrement dit, si vous n'offrez que des services de masturbation à vos clients mais que vous pratiquez la fellation sans condom avec vos partenaires occasionnels, il n'y a pas d'endroit dans le questionnaire où vous pouvez faire la distinction, et l'étude pourrait utiliser cette information pour conclure que les travailleurs du sexe n'utilisent pas de condoms pour la fellation.278 [Traduction libre]

Un troisième exemple courant est la définition même du travail du sexe. Selon le projet Vanguard, lors d'un sondage effectué auprès d'une cohorte de jeunes hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes, l'activité sexuelle non rémunérée ou rémunérée comprend «les rapports sexuels en échange d'argent, de drogues, de denrées, de vêtements, d'un endroit où dormir ou de protection.» [Traduction libre] C'est essentiellement la même définition que celle du Comité Badgley en 1984 et qui définit le travail du sexe comme étant l'activité sexuelle en échange d'à peu près n'importe quoi.

Dans une critique de cette définition, Andrew Sorfleet de la Sex Workers Alliance de Vancouver (SWAV)279 fait remarquer que :

la seule chose que le projet Vanguard n'a pas inclu dans la liste, c'est l'affection … Tout résultat de l'incidence du VIH se rapportant aux travailleurs du sexe se reflétera chez ceux qui sont visibles et qui s'identifient comme étant des travailleurs du sexe. Mais, en réalité, les «données» auront été tirées de l'expérience beaucoup plus vaste de l'activité sexuelle en échange de n'importe quelle forme de rémunération … Le sens large que l'on donne au terme «activité sexuelle rémunérée» permet d'inclure une catégorie de répondants très vaste.280 [Traduction libre]

Pour que la recherche évolue, il faudra rehausser les attentes des bailleurs de fonds, des chercheurs et des communautés qui participent à la recherche. Dans le domaine de la recherche sur le travail du sexe, cela exigera de la collaboration. Il faudra également uniformiser les moyens utilisés pour opérationaliser les préoccupations, mesurer les variables et définir les concepts, tels que celui du travail du sexe.

Comment la recherche sur la prévention du VIH pourrait-elle commencer à conceptualiser le travail du sexe?

Dans l'ouvrage Men Who Sell Sex: International Perspectives on Male Prostitution and HIV/AIDS,281 Allman et Myers (1999) récapitulent 10 questions de recherche qui pourraient s'appliquer à l'étude du travail du sexe au masculin au Canada. Selon ces chercheurs, il faudra avoir recours à une recherche plus rationnelle, plus scientifique et méthodologique que ce qui s'est fait jusqu'à présent au Canada si l'on veut arriver à comprendre de façon plus concrète le travail du sexe au masculin et du VIH et du sida.

  1. Une bonne partie de ce que l'on sait sur le travail du sexe au masculin et le VIH et le sida date d'avant les méthodes sociales, behaviourales et épidémiologiques utilisées à l'heure actuelle pour mesurer la sexualité et son expression.
  2. À quelques exceptions près, la plupart des échantillons de travailleurs du sexe hommes étaient des sous-échantillons d'autres populations plus larges ou étaient de petite taille.
  3. Il est rare que les méthodes et mesures retenues pour la recherche sur le travail du sexe au masculin soient les mêmes dans des villes de différentes tailles et dans différentes régions du pays.
  4. Il existe peu de données longitudinales sur le travail du sexe au masculin et encore moins de données sur des sites multiples.
  5. On ne sait pratiquement rien de la manifestation du travail du sexe au masculin, sauf du travail de rue, qui est visible.
  6. L'échange de services sexuels pour des denrées autres que de l'argent n'a, selon nous, jamais été étudié au Canada.282
  7. À l'heure actuelle, nous sommes très peu renseignés sur les comportements, attitudes et croyances des clients ou des partenaires des travailleurs du sexe hommes et sur le lien qui existe entre ces facteurs et le VIH et le sida.
  8. On ne comprend pas très bien en quoi les travailleurs du sexe hommes qui s'injectent aussi des drogues diffèrent des travailleurs du sexe hommes qui ne s'injectent pas de drogues.
  9. On a très peu de connaissances sur l'expérience des travailleurs du sexe hommes de différentes origines raciales, ethniques ou culturelles qui travaillent au Canada, en particulier les travailleurs du sexe autochtones.
  10. Il faut mieux comprendre le rôle de l'identité sexuelle, du milieu social et de l'homophobie interne et externe, ainsi que l'expérience des jeunes hommes travailleurs du sexe.283

Dix autres domaines à explorer :

  1. Un examen des rôles du pouvoir et du risque dans les négociations entre les travailleurs du sexe au masculin et leurs clients, leurs partenaires occasionnels et leurs partenaires réguliers.
  2. Une meilleure compréhension de la façon dont les hommes vivent et construisent leurs rapports personnels avec leurs partenaires occasionnels et réguliers, tant ceux du sexe masculin que du sexe féminin.
  3. Une étude d'exploration sur les différences entre les clients de sexe masculin et ceux de sexe féminin et sur la diversité des comportements et des contextes de chaque groupe dans leurs rapports avec les travailleurs du sexe.
  4. La connaissance des schémas de migration des travailleurs du sexe hommes et la compréhension des influences sociales, économiques et saisonnières plus vastes qui influent sur la stabilité ou le caractère transitoire de l'industrie, tant sur le plan géographique que temporel.
  5. Une investigation de la variété dans les contextes du travail du sexe au masculin d'une région à une autre du pays, en particulier dans les régions où peu d'études ont été faites, telles que les Maritimes et les Prairies.
  6. Une compréhension de la façon dont la connaissance et l'expérience des travailleurs du sexe d'âge mûr influent sur leurs activités et peuvent faire en sorte que celles-ci soient différentes des activités des jeunes hommes travailleurs du sexe.
  7. Une exploration de la façon dont diverses stratégies de recrutement permettent d'avoir accès à différentes populations de travailleurs du sexe hommes, surtout ceux qui ne travaillent pas dans la rue.
  8. Une meilleure compréhension de la façon dont le Code criminel fait obstacle à la prestation des services de prévention et de sensibilisation au VIH auprès des travailleurs du sexe hommes, et les étapes positives pour commencer à remédier à cette situation.
  9. Un processus en vertu duquel les cadres moraux qui sous-tendent une bonne partie de la recherche canadienne sur le travail du sexe sont décrits et analysés afin de déterminer leur origine, comment il fonctionnent et quelles mesures peuvent être prises pour s'en affranchir.

Et plus important encore,

  1. Un processus qui permettrait de réunir les travailleurs du sexe au masculin pour discuter de ce qu'ils veulent que la recherche sur le VIH et sur le sida leur apporte, et de la façon dont cette recherche devrait traiter avec eux, dans leur milieu de travail et dans leur vie quotidienne.

Arriver à une compréhension plus véridique du travail du sexe au masculin et du VIH et du sida au Canada, une compréhension qui soit libre de toute ignorance, stigmate et discrimination, exigera une remise en question constante de la façon dont la recherche aborde la prostitution masculine moderne.



Références

  1. SORFLEET, A., communication écrite. [back]

274. EARLS, C. M. et DAVID, H. «Male and Female Prostitution: A Review», Annals of Sex Research, 1989b, no 2, p. 22.

275. DE BRUYN, T. VIH/sida et discrimination : un document de travail, Projet sur les questions d'ordre juridique et éthique soulevées par le VIH/sida, Montréal, Réseau juridique canadien VIH/sida et Ottawa, Société canadienne du SIDA,1998, p. 62.

276. JACKSON, L. et HIGHCREST, A. «Female Prostitutes in North America: What Are Their Risks of HIV Infection?», dans AIDS as a Gender Issue: Psychosocial Perspectives, publié sous la direction de L. Sherr, C. Hankins et L. Bennett, London, Taylor and Francis, 1996, p. 149-62, cité dans DE BRUYN, T. VIH/sida et discrimination : un document de travail, Projet sur les questions d'ordre juridique et éthique soulevées par le VIH/sida, Montréal, Réseau juridique canadien VIH/sida et Ottawa, Société canadienne du SIDA,1998, p. 63

277. GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA PROSTITUTION. Rapport et recomman-dations relatives à la législation, aux politiques et aux pratiques concernant les activités liées à la prostitution, Ottawa, Ministère de la Justice, 1998, p. 15.

278. J. M., communication écrite.

279. Pour le texte intégral de la critique de Sorfleet, The Vanguard of Sexploitation, voir le site Web de la SWAV au www.walnet.org/csis/groups/swav/vanguard-3.html.

280. SORFLEET, A., communication écrite.

281. AGGLETON, P. Men Who Sell Sex: International Perspectives on Male Prostitution and HIV/AIDS, London, UCL Press, 1999.

282. Bien qu'un certain nombre d'études aient examiné l'échange d'une variété de denrées contre des services sexuels, aucune étude canadienne n'a exploré les différences entre l'activité sexuelle en échange d'argent et l'activité sexuelle en échange d'autres denrées, telles que les drogues, de la nourriture ou un abri.

283. ALLMAN, D. et MYERS, T. «Male Sex Work and HIV/AIDS in Canada», dans Men Who Sell Sex: International Perspectives on Male Prostitution and HIV/AIDS, publié sous la direction de P. Aggleton, London, UCL Press, 1999.

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Created: February 5, 2000
Last modified: February 5, 2000
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