Dans cette section, nous nous éloignerons des résultats de la recherche sur la prévention pour nous tourner vers le travail et les idées des groupes d'intervention et de prévention communautaires et des intervenants en défense des intérêts des travailleurs du sexe.
Bien que bon nombre d'universitaires et de chercheurs canadiens aient éprouvé de la difficulté à séparer les questions d'ordre moral et d'ordre professionnel associées au travail du sexe et, de ce fait, aient tardé à incorporer les questions liées au VIH et au sida et les questions relatives à la sécurité au travail à leurs études sur le travail du sexe au masculin, les groupes d'intervention communautaire et de défense des droits des travailleurs du sexe ont, par ailleurs, joué un rôle dynamique et se sont exprimés avec force sur les liens qui existent entre le VIH et la sécurité au travail.
Bon nombre d'emplois comportent des risques et exigent que des mesures de sécurité soient respectées. Les travailleurs du sexe sont tout à fait conscients des risques associés à leur métier, notamment de la possibilité de violence et d'infection. À cause de cela, ils prennent des précautions pour se protéger et protéger leurs clients. Tout comme les travailleurs de la construction portent des casques de sécurité sur le chantier, les travailleurs du sexe utilisent des condoms.229 [Traduction libre]
L'un des messages de sensibilisation au VIH diffusé par le Maggie's Prostitutes' Safe Sex Project est le suivant :
le risque de contracter le VIH ne vient pas du fait qu'on a des rapports sexuels rémunérés, mais du fait qu'on a des rapports sexuels à risque avec des partenaires en qui nous avons confiance, que nous aimons et avec qui nous avons du plaisir le risque vient de personnes et d'activités qui sont extérieures au travail du sexe.230 [Traduction libre]
En outre, l'éducation par les groupes d'intervention communautaire et de défense des intérêts des travailleurs du sexe ne se limite pas à la distribution de condoms et de lubrifiant. Dans un commentaire sur le Prostitutes' Safe Sex Project, Danny Cockerline,231 travailleur du sexe et activiste fait un retour en arrière :
Lorsque nous avons commencé ce projet, notre but était d'obtenir des renseignements sur ce que les gens savaient sur les rapports sexuels protégés et de distribuer des condoms. Nous avons découvert que beaucoup de gens étaient insultés parce qu'ils étaient déjà renseignés sur les rapports sexuels protégés et sur l'utilisation du condom. Le fait même de leur offrir des condoms était une insulte et ils nous disaient : «J'ai mes propres condoms.» Nous avons donc changé notre approche et commencé à leur remettre du matériel, tel que des dépliants à offrir à leurs clients. Nous leur proposions ce matériel comme moyen de sensibiliser leurs clients et, ainsi, ils ne se sentaient pas offensés. Cette approche a très bien réussi
Cela les encourage à être contents du fait qu'ils ont déjà adopté des pratiques sexuelles sécuritaires et qu'ils incitent leurs client à faire de même.232 [Traduction libre]
Pourquoi sensibiliser les travailleurs du sexe et leurs clients?
En 1988, Valerie Scott, travailleuse du sexe et activiste canadienne, proposa, dans le cadre d'une communication présentée lors d'une conférence sur le travail du sexe tenue à Melbourne, en Australie, trois réponses à la question, «Si les travailleurs du sexe ont déjà adopté des pratiques sexuelles sans risque, pourquoi faut-il un programme d'éducation à leur intention?» [Traduction libre] Selon Valerie Scott,
- Dans le commerce du sexe, il y a toujours des personnes mal informées, d'habitude parce qu'elles viennent d'arriver d'une petite ville où il est difficile de se procurer de l'information sur le sida, ou parce que, en raison de leur jeune âge, l'accès à l'information sur le sécurisexe est restreint.
- Les gens ont besoin d'encore plus d'information sur le sida et les MTS que n'en diffusent les médias. Si la plupart des prostituées savent comment se servir du condom, certaines ne savent pas la différence entre le condom fait de membranes naturelles (intestins d'agneau) et le condom de latex, d'autres ne savent pas quel type de lubrifiant utiliser, comment utiliser le nonoxynol-9 de façon efficace,233 comment nettoyer les aiguilles si elles s'injectent des drogues, comment et pourquoi éviter d'autres MTS, comment évaluer le risque des rapports sexuels non protégés avec un amant, etc
Le manque de connaissance est plus important dans les petites villes parce qu'il y a moins de cas de sida et, par conséquent, moins de discussion dans les médias sur la façon de prévenir le sida.
- Les prostituées ont besoin d'aide afin d'éduquer leurs clients et autres partenaires sexuels qui refusent d'utiliser le condom. Comme les prostituées rencontrent des centaines d'hommes par année, elles sont bien placées pour jouer le rôle d'éducatrices. On pourrait, dans le cadre d'un projet de sensibilisation, fournir aux prostituées l'information et les compétences nécessaires pour faire cette éducation.234 [Traduction libre]
Messages de sensibilisation à la prévention du sida à l'intention des travailleurs du sexe hommes
Bon nombre de chercheurs canadiens concluent que les programmes de prévention du VIH et du sida conventionnels n'atteignent peut-être pas les travailleurs du sexe hommes. L'une des raisons est que les initiatives provinciales et nationales ne mettent pas l'accent sur les différences possibles entre les travailleurs du sexe hommes et femmes.235
De plus, bon nombre de travailleurs du sexe hommes ne se considèrent pas comme gais. Il faut donc s'efforcer de tenir compte des facteurs susceptibles de faire obstacle à l'adoption de pratiques sexuelles sans risque, notamment les réalités d'ordre social, culturel, économique et sexuel.236
En fin de compte, à cause du peu d'information disponible à l'heure actuelle sur les travailleurs du sexe hommes, leurs clients et leur expérience du VIH et du sida, il est difficile d'évaluer les programmes d'intervention et d'en élaborer de nouveaux.237
Certains intervenants en défense des droits des travailleurs du sexe croient que :
Les messages de prévention du sida en milieu de travail devraient se situer dans le contexte d'autres questions liées au milieu de travail, telles que le harcèlement par la police, la violence, la sécurité dans la rue et dans d'autres lieux de travail, les services de garderie et autres questions se rapportant à la santé. La vie de famille des prostitués ne diffère pas beaucoup de la vôtre. Les messages personnels sur l'adoption de pratiques sexuelles sécuritaires qui vous influencent peuvent également avoir une influence sur moi.238 [Traduction libre]
Services d'intervention communautaire sur le sida offerts aux travailleurs du sexe hommes
À Toronto, le programme d'intervention communautaire Street Outreach Services (SOS) oeuvre auprès des jeunes travailleurs du sexe depuis 1985. Cet organisme soutient que la plupart des jeunes ne deviennent pas travailleurs du sexe par choix, mais plutôt à cause d'un concours de circonstances. Selon SOS, les jeunes sont poussés à se prostituer par des facteurs comme les problèmes de famille, les questions d'identité sexuelle, les difficultés à l'école, la pauvreté et le manque d'emplois disponibles.
L'anonymat d'une grande ville comme Toronto séduit par le sentiment de liberté qu'il évoque mais, en fait, il force la plupart de ces jeunes à abandonner leurs buts et leurs rêves originaux et à les remplacer par les réalités souvent brutales qu'ils doivent affronter pour survivre.239 [Traduction libre]
Divers services sont offerts par le programme SOS dont des initiatives de sensibilisation au VIH et au sida, des ateliers d'éducation des pairs, des ateliers sur l'utilisation sans risque des accessoires sexuels, des tests de dépistage du VIH, des services de conseil sur le dépistage du VIH et la distribution de condoms.
À Montréal, le projet Prostitution Masculine est une initiative communautaire qui fait de la prévention du VIH dans la rue. Mis sur pied en 1996 et coordonné par Action Séro-Zéro, un organisme de lutte contre le sida, ce projet distribue des condoms, du lubrifiant et des aiguilles propres aux travailleurs du sexe hommes du centre-ville.240
À Winnipeg, le projet d'intervention de la Village Clinic a permis aux travailleurs du sexe hommes de «définir leurs propres besoins et d'élaborer des stratégies pour répondre à ces besoins, au lieu d'offrir des services basés sur des hypothèses formulées par les employés et bénévoles de la clinique communautaire.»241 [Traduction libre] Ce projet dispense aux travailleurs du sexe hommes des services de santé de base, dont la distribution de condoms et d'information sur la santé, ainsi que l'aiguillage vers d'autres services. Des données sont également recueillies sur les comportements de la population des travailleurs du sexe hommes desservie par le projet.242
À Vancouver, Andrew Sorfleet coordonne la Sex Workers Alliance of Vancouver (SWAV). Par l'entremise du site Web primé de la SWAV, qui est en ligne depuis décembre 1995, les travailleurs du sexe et leurs clients ont accès à de l'information sur des questions touchant les travailleurs du sexe, notamment de l'information sur le VIH et le sida.243
Également à Vancouver, la Downtown South Community Health Clinic dirige Boys R Us, une halte-accueil pour les travailleurs du sexe au masculin, un endroit sûr, qui offre des repas, des services à visée sanitaire et des liens avec des services de dépistage du VIH et de conseil sur le dépistage. Le centre sert également de point de recrutement pour le projet Vanguard. Le fonctionnement de cette halte est assuré grâce à la collaboration d'un certain nombre d'organismes communautaires de la ville, dont AIDS Vancouver.
Voilà des exemples d'organismes communautaires qui offrent des services d'intervention communautaire aux travailleurs du sexe hommes au Canada.